Mon enfance brestoise.

Je suis né à Brest en 1969.

Mon père, Daniel, était chaudronnier. Ma mère, Michèle, ne travaillait pas, à l’époque. Mon père au retour de l’Algérie, en 1962, en avance sur les beatniks, avait préféré vivre de l’air du temps, à Concarneau, au lieu de commencer à l’usine… Là, il bossait un peu sur les bateaux, un peu à la criée, et un peu à l’auberge de jeunesse de Concarneau.

C’est là qu’il rencontra ma mère, une jeune femme qui quittait l’Isère et son gendarme de père pour la première fois.

Ils se marièrent, ma grande sœur Claire naquit, et mon père entra à l’usine. Moi, je suis né, juste avant la fin des années 60, sous Pompidou.

Quand j’ai eu 7 ans, on proposa à mon père de reprendre l’auberge de jeunesse de Brest. J’ai grandi là, entre les hippies, les paumés, les touristes et les voyageurs. C’était bien.

Manque de chance, j’habitais en face de mon école. Je n’avais même pas la joie des trajets et des chemins détournés. Je n’ai jamais aimé ça, l’école. Ou presque. Les rédactions, c’est tout. C’est là que j’ai compris et de un que j’adorais écrire, et de deux que je détestais l’école.

Mon premier livre

J’ai redoublé, redoublé, jusqu’à temps de ne plus pouvoir y aller… A la fin de la 3°, à 16 ans, je me suis retrouvé au chômage. Un copain du théâtre m’a dit qu’il avait vu une affiche pour un concours d’écriture pour les jeunes.

Pendant 3 mois, le soir, (le matin, j’étais TUC à la mairie de Bourgoin-Jallieu), j’ai écrit un livre, « la 3° vie », je l’ai envoyé, et j’ai remporté le premier prix du prix du jeune écrivain. Cavanna était président du jury…

Le contraste était saisissant : chômeur d’un côté, lauréat d’un prix national de l’autre. D’autant plus que ça n’a pas été simple : mon livre avait choqué les sponsors, j’ai été, à à peine 17 ans, confronté à une forme de censure : il fallait que je fasse des coupes pour que les sponsors acceptent de financer l’édition… finalement, une solution a été trouvée : ma nouvelle a été publiée en dehors du recueil des autres lauréats.

La traversée.

La suite n’a pas été simple. J’ai repris des études en alternance, j’ai donc travaillé dés 16 ans, dans le commerce, principalement. J’ai aussi pris et donné des cours de théâtre mais sans conviction. J’ai fait des boulots. Plein.

A 24 ans, je suis devenu pigiste au Dauphiné libéré, à l’agence locale de Bourgoin-Jallieu. Mine de rien, j’y ai écrit des centaines d’articles pendant 4 ans sur tous les sujets, je suis rentré là où un gamin de 25 ans n’aurait jamais eu l’idée de rentrer. Bref, je me suis fait la plume.

A la trentaine, bien paumé, incapable de savoir si je pouvais devenir écrivain ou pas, (mes quelques textes maladroits étaient refusés par les maisons d’édition) j’ai pris une décision radicale : j’ai vendu ou donné toutes mes affaires, j’ai acheté du matériel de randonnée, et je suis parti sac sur le dos et bible dans la poche : Et j’ai traversé la France à pied : de Sarlat à Brest.

Et quand je me suis retrouvé sans sous, j’ai raconté des histoires que j’avais inventé dans la journée, dans les campings, les restaurants, les bistrots, sur les quais ou sur la plage…

Les vrais débuts.

Mais bon, je ne savais toujours pas si je pouvais devenir écrivain ou pas : j’ai continué à bosser à droite et à gauche, j’ai vendu à peu près tout ce qui peut se vendre, et comme je me débrouillais pas mal, on m’a proposé la gérance d’une boutique d’une grosse chaine. Et là, enfin, j’ai choisi. Pour de vrai ! J’ai dit non à la grosse chaine, je me suis mis au chômage et j’ai écrit mon premier « vrai » livre (mon 3° dans la réalité) : « Kilomètre zéro ». L’histoire ? je n’avais pas à chercher bien loin : je venais de traverser la France, il me suffisait de transposer l’histoire entre un père et son fils… le reste, l’ambiance surtout, je l’avais vécu.

A nouveau des refus. Et un mail : Les éditions du Rouergue lancent des collections de romans. C’est nouveau, innovant, ça marche (c’est le cas de le dire) et on va faire un petit bout de chemin ensemble.

Je garde le personnage de Km 0, Benjamin, et je lui invente plusieurs histoires, pour les plus jeunes : « tu parles, Charles ! », « vive la mariée », « la nuit de mes 9 ans », « Jean débile Monchon et moi » et mon préféré « la chauffeuse de bus ». Je gagne un prix à Montreuil, ça commence à démarrer doucement…

Pendant cette période d’apprentissage, je me dis que pendant 2 ans, je dis oui à tout, pour ensuite savoir ce que je veux et surtout ce que je ne veux pas… j’apprends, je rate quelques livres, je découvre qu’un écrivain pour enfants gagne en partie sa vie en allant parler de ses livres dans les écoles, ce qui n’est pas forcément simple pour un ancien cancre.

Lors de mon premier salon du livre, je rencontre Colline Faure-poirée, éditrice chez Gallimard-Giboulées. Je ne veux lui proposer qu’un texte dont je suis vraiment content. J’attends quelques années, et j’écris, « la première fois que je suis née ».

La réalité du métier n’est pas simple : ça marchote, mais je vis encore des paradoxes : le week end, je suis invité à l’hôtel et au restaurant, on me paie pour parler de moi, et la semaine, j’ai à peine de quoi payer mon loyer et mes factures… avancer un billet de train devient un problème.

Mais bon, j’écris, je suis devenu écrivain, c’est l’essentiel.

Le style, pas le thème.

En 2007 nait mon premier enfant, j’écris de plus belle, des livres dont je suis fier : « l’histoire de Clara », « le temps des Marguerite », entre autres…

Autant dans mes premiers romans du Rouergue, j’essayais un style ultra oral, très inspiré par le petit Nicolas, truffé de gros mots, autant, avec mes albums, je change de braquet : je me fais une spécialité d’albums « pour grands », en gros, des albums très illustrés mais où le texte est moteur. J’affine mon style, j’essaie des trucs, notamment au niveau de la narration.

Dans « l’histoire de Clara », 10 personnages racontent à la première personne comment ils ont sauvé un enfant.

Dans « le temps des marguerite », j’écris deux intrigues parallèles à deux époques différentes.

Dans « les socquettes blanches », l’intrigue est narrée tour à tour par une petite fille coincée et un petit gars de la rue.

Je m’essaie aussi à un style plus littéraire, très écrit : « La fille verte », « l’enfant qui grandissait » ou « la traversée des animaux ».

Surtout, j’essaie de me diversifier : je monte une collection chez actes sud junior, « t’étais qui, toi ? », des biographies historiques, 12 titres sortent… ça marchotte alors ça s’arrête au bout de deux ou trois ans…

Le hasard de la vie me fait déménager de Lyon à Rennes, en passant par nantes, Besançon, et Bruxelles. Et je commence à travailler avec des grands musiciens de musique classique : plusieurs de mes textes sont adaptés, j’écris des créations originales et j’ai la joie de m’entendre salle Pleyel, au châtelet ou à la philharmonie…

Je ne suis pas auteur jeunesse.

Bref, je suis devenu écrivain, un qui en vit. Ça a toujours été mon but, à la japonaise : travailler la même chose toute ma vie, de ma naissance à ma mort. Je ne cherche pas le carton ou le gros prix littéraire, je cherche à exercer ma profession, et à en vivre, jusqu’à la fin de mes jours.

J’ai commencé à m’intéresser dés mes débuts à ce qui fait mon métier, le pourquoi du comment… et j’ai commencé à participer à ma manière aux débats qui agitent mon petit métier… Pour moi, la liberté est complètement liée à l’écriture, et on ne peut pas écrire sous des contraintes morales, sociales ou politiques… ou alors, les nôtres, pas celles imposées par les autres. J’essaie autant que faire se peut de m’affranchir de tout ça : en privilégiant le style aux thèmes.

Pour autant, je ne me sens pas particulièrement auteur jeunesse, mais bien écrivain, et il se trouve que j’écris plus facilement pour les enfants. J’évoque ces questions dans deux livres : « la fois où je suis devenu écrivain » et « je ne suis pas un auteur jeunesse. »

Quand je vois que je commence à tourner en rond, à devenir la caricature de moi-même, je change de support : je passe de l’album à la bd, du roman au documentaire, et je m’essaie à l’écriture de scénarios.

 

Emile.

En 2012, la vie aidant, je passe par une grosse panne d’écriture. J’en sors en créant un petit personnage qui va dire exactement ce que je pense de la vie, de l’enfance et des autres… Emile. Avec Ronan Badel, on s’amuse avec une économie de texte et de dessin.

Dans la foulée, je crée d’autres séries, « Mémé » ou « les nouveaux » pour Astrapi. J‘adore ce principe de séries, et de toucher le plus de gamins possibles, et pas seulement ceux qui vivent dans des environnements culturellement riches.

Je viens d’un milieu populaire, j’en suis fier, j’ai été pauvre plus de la moitié de ma vie, et je trouve important que dans les gens qui créent aujourd’hui, qui font des livres, des films, des peintures, des disques, il n’y ait pas que des enfants des classes moyennes supérieures ou de la bourgeoisie, mais aussi des enfants des classes populaires…

Tout ça me donne envie de faire plein de choses, d’écrire plein de livres, et de continuer à creuser mon sillon : écrire, quoi !

Ma petite entreprise.

En 2017, nouvelle petite panne, mais pour une raison différente : je viens d’être particulièrement productif : une bd, ma première, chez Casterman, « la cire moderne », un livre sur mon fils, la suite de « la première fois que je suis née », un livre sur le métier, et pour couronner le tout de l’année de mes 30 ans de publication, un livre un peu fou, fait chez Hélium : « les jours pairs » : Près de 200 nouvelles, 200 idées différentes qui auraient pu, dans l’absolu, donner chacune lieu à un album… Après ça, forcément, j’ai moins d’idées, alors je décide de m’occuper un peu de moi… et je réalise un rêve d’enfant : j’ouvre une bouquinerie, à Bruxelles.

J’aime tellement chiner, acheter, fouiller dans les librairies, j’aime tellement l’illustration, le dessin, les vieux bouquins pour enfants… ça s’appelle « les gros mots » et ça me permets de sortir un peu la tête de mes propres livres, de rencontrer des gens, et accessoirement, de jouer à la marchande.

L’envie d’écrire est revenue, elle revient toujours. J’ai dépassé les 50 ans, dépassé les 100 livres, une petite fille est venue agrandir ma famille, et comme toujours depuis tout ce temps, j’ai une dizaine de projets sur le feu.

Certains se feront, d’autres pas. Certains seront ratés, d’autres aboutis, couronnés de succès ou pas, ça n’est pas la question… la seule question, la seule qui vaille pour moi dans mon métier : écrire un bouquin qui n’a jamais été écrit par personne.