La planète des moches.

Un truc que j’aimais bien, mais des fois, bon, le manque d’enthousiasme des éditeurs, fait que bon, on a du mal à trouver la motivation…

La planète des moches

« Dans mon pays, c’est bien simple, tout le monde est moche. Même le moins moche des moches est très moche. Quant au plus moche des moches, je vous raconte pas.

Au pays des moches, les oiseaux sont moches, les fleurs sont moches, les petits lapins roses sont moches. Les biches sont moches, les princesses sont moches, tout, je vous dis, tout !

Les gens eux même sont parfois surpris d’être aussi moches. Quand ils croisent un pire qu’eux, un plus maigre, une plus grosse, un plus gros pif, des yeux qui louchent plus, ils ne peuvent s’empêcher de rigoler.

-Ah, tu es vraiment très très très moche, toi!

-Dis donc, tu t’es pas regardé !

Pour les mariages, c’est facile. Le marié choisit la plus moche, la mariée choisit le plus moche, ils se marient, on crie, « mon Dieu, qu’elle est vilaine ! » et ils font des enfants, affreux comme tout.

Mais au pays des moches, comme nulle part ailleurs, il y a parfois des erreurs. Il faut bien qu’il y ait, un fois sur 1 000, un truc qui cloche.

Il faut bien que parfois, il y ait un beau qui naisse. Ou une belle.

On sait qu’ils existent, on en croise parfois, mais on n’en fait pas cas.

Blattre est de ceux-là. Belle, mais belle ! Tellement belle que ses mochetés de parents lui ont donné un prénom tout vilain pour compenser.

La première fois que je l’ai vue, j’ai fait comme tout le monde : j’ai froncé les sourcils et j’ai soufflé :

-Punaise, qu’est-ce qu’elle est… Qu’est-ce qu’elle est… belle.

Et j’ai regardé ailleurs. Au hasard, mes pieds. Mes moches pieds. 

La maitresse l’a regardé de long en large et lui a dit de s’asseoir là où il y avait de la place. De la place, il y en avait à côté de moi.

Elle m’a regardé, a souri et s’est assise.

J’ai plongé la tête dans mon cahier.

A la récré, elle était toute seule. Les autres la regardaient méchamment, ou pire, ne la regardaient pas du tout.

Elle a encore regardé où il y avait de la place, et une fois de plus, de la place, il y en avait à côté de moi, sur le banc tordu. Elle m’a demandé si elle pouvait s’asseoir. J’ai dit non, ça voulait dire oui. J’ai tourné la tête, mais quand j’ai vu ses yeux, ça a fait mal aux miens.

Ils sont bleus, ses yeux. Mais bleus bleus bleus. Les miens sont jaune pipi. C’est rigolo d’avoir des yeux jaune pipi. Alors qu’avoir des yeux bleus, c’est pas rigolo. C’est beau, c’est tout. Ses joues sont lisses. Oui oui, vous m’avez bien entendu ! Lisses comme la caresse d’un voile quand le vent souffle. Pas un bouton ! pas un seul. Pas de moustache, ni de crevasses, encore moins de verrue. Je suis sûr qu’on peut caresser sa joue sans se blesser ! Et roses en plus ! roses ! c’est très rare le rose sur notre planète. Très très rare. En fait, cette couleur n’existe que sur les joues de Blattre.

Et ses dents ! Elle en a le nombre qu’il faut. Ni pas assez comme papa, ni trop comme maman. Bien sûr, ses cheveux sont aussi beaux que le reste. Il y en a des milliers, de la couleur d’un coucher de soleil si les couchers de soleil étaient beaux sur notre planète. Oui, parce que sur notre planète, même les couchers de soleil sont moches.

Blattre a souri à la maitresse, ce qui la rendait encore plus jolie. Blattre, pas la maitresse… parce que la maitresse, quand elle sourit, euh, comment dire, c’est encore pire que pire.

-Blattre, puisque vous vous croyez si maline, venez donc au tableau et dessinez nous donc un arbre.

Oui, parce qu’aujourd’hui, on a un cours sur les arbres.

Blattre s’est levée, toujours en souriant, a pris la craie verte, et a dessiné un arbre. Il était beau, son arbre, des racines profondes, un tronc solide, des branches au bout desquelles balançaient des beaux fruits rouges, et des feuilles, des feuilles, des feuilles…

En voyant son dessin, on a tous éclaté de rire ! Qu’est-ce que c’est que cet arbre ! On a jamais vu un arbre pareil par chez nous !

La maitresse a arraché la craie des mains de Blattre, a effacé son bel arbre, et en a dessiné un vrai, comme il en pousse dans la cour de l’école.

-Voilà. Ça c’est un arbre.

Blattre a fait la moue, et même quand elle fait la moue, elle est jolie.

Elle est retournée s’asseoir en baissant la tête. On ricanait tous. Moi aussi.

Quoi ? Je suis pas méchant de ricaner ! Il est vraiment bizarre, son arbre.

A la sortie, tous les enfants montent dans la boîture de leurs parents (une boîture, c’est une voiture qui boite), sauf Blattre et moi. Je rentre toujours à pied. Ma mère dit toujours qu’avec les pieds que j’ai, ce serait dommage de ne pas s’en servir.

Je me mets en route, et au bout de quelque temps, je me rends compte que Blattre trotte à petits pas derrière moi.

Je fais celui qui s’en fiche, mais en vrai, je marche un peu moins vite pour qu’elle arrive à mon niveau. Et je vous jure, marcher un peu moins vite, avec mes pieds, c’est pas évident…

-Resalut, elle me dit.

-Resalut, je réponds.

J’ai du sourire, parce qu’elle fait une drôle de tête. (Ben ouais, quand je souris je suis encore plus moche que d’habitude)

Ca la fait rigoler.

-Tu te moques de ma tête? je demande.

-Non, j’aime bien, elle répond.

Alors c’est cool. Je continue à marcher lentement, parce que j’ai envie de rester à côté d’elle.

-T’habites loin ?

-Rue Papouf.

-Rue Papouf ? c’est dingue, j’habite rue Gniar.

-Ah oui, c’est à côté.

-Mais je t’avais jamais vu avant, ça fait longtemps que tu habites le quartier ?

-Ca fait un mois, elle dit timidement.

-Un mois ! Mais c’est pas possible, je t’aurais remarqué ! Je réponds.

– Oui, mais ma mère, elle ne voulait pas trop que je sorte.

-Ah.

J’ai envie de lui demander pourquoi, mais en fait, je sais déjà.

Je regarde l’heure sur ma montre :

-Eh, c’est 5 heures.

-Et alors ?

-Et alors, va y avoir un coucher de soleil, tu veux voir ?

-Oui, je veux bien, elle répond. Ca doit être beau…

-Ah non, je réponds en rigolant, c’est pas beau, mais c’est rigolo.

Je lui fais signe de me suivre. On court jusqu’à un espèce de parc, on grimpe des escaliers tordus et on arrive en haut d’une petite colline. De là, on voit la campagne, et au-delà, la mer. La mer, ici, elle est bizarre. Ca fait une flaque. Une flaque d’huile. Elle est moche, mais on l’aime bien quand même. Je lève les yeux dans le ciel encore un peu clair et je fais signe à Blattre.

-Regarde, le soleil va se coucher. Tu sais, c’est ici que le coucher de soleil est le plus moche du monde, je dis fièrement.

-C’est vrai ? dit Blattre.

Et on voit tous les deux arriver un espèce d’horrible soleil machin marron et dégoulinant… on ose rien dire tous les deux, mais on pense très fort que ça ressemble à une crotte de pigeon. Le soleil tombe super vite sur l’horizon et fait un drôle de bruit (« SPLASH ! ») en tombant.

-Ahah, c’est dégueulasse, crie Blattre.

-Je t’avais dit, on a le coucher de soleil le plus pourri du monde !

J’aime bien quand elle rit. J’aime encore mieux quand elle rit parce que j’ai dit un truc rigolo.

Mais du coup, la nuit est tombée. Le parc fait des drôles de bruits.

-Euh, on rentre ? elle demande.

-Oui, ne t’inquiète pas, je lui réponds.

On se dit plus rien jusqu’à la rue Gniar.

-Bon ben, j’habite là, je dis.

-Ouais, salut, elle répond.

-Ca va aller, pour rentrer ? je demande.

-Ouais, t’inquiète.

-Bon ben, à demain, alors.

-A demain.

Dès que j’ai passé la porte de la maison, ma mère m’attrape par le col de mon pull.

-Dis donc, Michel Gomez, qu’est-ce que tu faisais avec cette fille ?

-Ben rien, c’est une copine de l’école. Elle habite à côté, je réponds.

-J’aime pas bien que tu traines avec des gens comme elle…

-Ben quoi ? elle est cool, elle est super gentille…

-Michel, tu sais bien comment ils sont ces gens…

-Quels gens ? Je demande.

-Tu sais bien… les gens… les gens beaux…

-Oui, je sais, maman. Tu m’as dit 100 fois… je dis en baissant les yeux.

-Eh oui, Michel. Rappelles toi : les gens beaux, c’est que des soucis, tu le sais bien… c’est pas des gens comme nous…

-Oui, mais elle elle est pas comme ça …

-Parce que tu la connais pas bien… tu verras, bientôt, elle te fera les yeux doux, et des jolis sourires, et là, ce sera foutu… foutu…

Je baisse la tête et dit :

-Oui maman.

Elle me sourit, et même si c’est ma mère, je ne peux pas m’empêcher de sursauter à chaque fois. Qu’est – qu’elle est moche. Elle me dit souvent que j’ai de qui tenir.

Le soir, j’ai du mal à faire mes devoirs. C’est plus fort que moi, je pense à Blattre et à ses jolies joues. Au lieu de dessiner les 3 espèces d’arbres qui poussent sur notre planète (l’arbre moche, l’arbre très moche, et l’arbre très très moche »), mon crayon dessine tout seul un joli cœur tout rouge avec écrit dessus : Michel Gomez et Blattre.